Ils sont venus, ils ont pris des photos et ils se sont fait arrêtés par l’armée grecque. Deux employés du studio de developpement tchèque de jeu vidéo Bohemian Interactive (BI) sont depuis leur interpellation dimanche 9 septembre sous le coup d’une accusation d’espionnage pour avoir photographié des installations militaires sur l’île de Lemnos au nord-est de la mer Égée.

Ces deux Tchèques, âgés de 28 et 33 ans, travaillent pour BI au développement d’un jeu de simulation de guerre, Arma 3, dont le principe est de recréer au plus près de la réalité les conditions sur le terrain. Une partie de l’action de ce titre, attendu pour la fin de l’année ou le début 2013, se déroule sur Lemnos. Lors de leur interpellation les deux hommes auraient d’ailleurs assuré que leurs clichés devaient permettre d’”enrichir” le graphisme du jeu, rapportait lundi 10 septembre le site d’information grec News247.

“Deux employés de Bohemian Interactive ont, en effet, été arrêtés à Lemnos”, a confirmé lundi soir sur le forum officiel du jeu Marek Spanel, pdg et fondateur de la société tchèque. Dans un communiqué publié le lendemain sur le site de BI, il affirme son “soutien absolu” aux deux développeurs, mais tient à préciser “qu’ils ont été arrêtés durant leurs vacances à Lemnos où ils ne faisaient que profiter du merveilleux paysage de l’île”.

Site stratégique

Rien à voir donc avec un déplacement professionnel contrairement à ce que les deux hommes ont affirmé lors de leur arrestation. “Nous agissons toujours en conformité à la loi et ne basons nos jeux que sur des informations publiques”, assure Marek Spanel. Un lâchage en rase campagne insulaire qui s’explique, entre autre, par la situation stratégique de Lemnios.

Elle fait en effet l'objet d'un différent de près d'un siècle avec la Turquie qui veut la démilitarisation de cette l'île qui se trouve à 38 kilomètres de ses côtes. Une demande toujours rejetée par Athènes. “A ce titre cette base est hautement sensible dans le contexte des tensions entre la Grèce et la Turquie [notamment sur la question chypriote, NDLR]”, selon Cypron, un fan grec des jeux de BI qui regrette sur le forum officiel d’Arma 3 le choix de représenter Lemnos dans le jeu. L’île n’est en effet qu’à 38 km des côtes turques. “Si celà avait été une base américaine [...], je ne pense pas que les développeurs se seraient risqués à la modéliser”, regrette ce joueur.

Les Grecs se sont, par ailleurs, déjà montrés très chatouilleux par le passé avec des photos d'installations militaires prises par des touristes. Huit Britanniques avaient, ainsi, été condamnés à trois ans de prison en 2001 pour avoir pris des clichés d’une base aérienne dans le sud de la Grèce. Si la peine avait été annulée un an plus tard lors du procès en appel, il est évident que Bohemian Interactive n’a aucune envie de se retrouver partie prenante dans un tel mic-mac.

Pourtant la ligne de défense du studio de développement tchèque n’est pas 100% solide. Un petit tour sur le site d'Arma III permet de dénicher un compte rendu détaillé d'un précédent périple sur Lemnos qui remonte à juin 2010. Pas de vacances cette fois-ci : les employés "équipés d'appareils photos et de simples sandales" s’y étaient rendus pour “collecter des informations afin de les intégrer dans l’univers virtuel du jeu”. Une expédition dont le but avoué était de reproduire “l’environnement le plus authentique possible” d’une île dont le principal attrait pour un jeu de guerre demeure sa base aérienne. Contacté à ce sujet par FRANCE 24, Bohemian Interactive se refuse à tout commentaire.

Les deux Tchèques sont, en tout cas, toujours entendus par les autorités grecques et aucune date pour un éventuel procès n'a pour l'heure été rendue publique. Les juges devront en tout cas trancher entre l'histoire de deux touristes pied-nickelés peu au fait de la législation locale et celle de deux développeurs qui pour les besoins du réalisme d'un jeu n'ont pas respecté l'interdiction de photographier une installation militaire;